THE DEEP partie 1

The Deep par Marija Nielsen

« La légende dit qu’un accouplement contre nature entre un Grand Ancien et une femme donna naissance à un hybride monstrueux ayant pris des proportions gigantesques, vivant désormais caché dans une grotte sous-marine, à l’abri des regards du monde humain. Il est dit que s’il s’échappait de sa cachette, aucun humain ne serait en sécurité étant donné qu’à l’air libre, il se multiplierait à l’infini. L’appétit incommensurable de cette multitude d’abominations mettrait la terre entière en danger. »
Je prends quelques notes et referme délicatement le vieux livre poussiéreux. Depuis que j’ai débuté mes études de mythologie, je me sens particulièrement attiré par tout ce qui touche à la petite ville côtière de Dunwich et ses légendes de Grands Anciens et de créatures hybrides, mi-homme mi-poisson. Je serais bien allé à Imboca, mais plusieurs récentes disparitions mystérieuses m’en ont persuadé. Pourtant, il paraît que le cimetière de la plage présente des pierres tombales de taille énorme et tout en beauté macabre. Mais je n’ai que 24 ans et aucune envie de faire partie des statistiques.
Tout à coup, le silence est rompu par le bruit strident d’une cigale électronique. Mon téléphone portable ! Je sens le rouge me monter aux joues tandis que je fouille nerveusement dans mon sac à la recherche de la bête. Un bibliothécaire se dirige dans ma direction d’un pas zélé mais j’ai juste le temps de faire taire la petite horreur avant qu’il ne découvre d’où cela venait. Je rassemble mes affaires vite fait et sort avant de commettre d’autres maladresses involontaires. Quelle plaie, ces téléphones portables ! Je consulte ma messagerie vocale, c’est Philippe : « Arnaud, t’es où ? On te cherche partout ! On a trouvé un bateau de pêche et le capitaine est d’accord pour nous emmener au large. Rappelle-moi ! »
On est une équipe de quatre : lui, moi, Mick et Bruno, tous passionnés par nos études, alors quand je leur ai proposé de venir jusque là pour faire de la plongée à la recherche de monstres aquatiques légendaires, ils m’ont suivi sans sourciller. De toute façon, avec ou sans eux, je serais venu.
La journée est belle et ensoleillée, la mer calme. Les conditions parfaites. J’ai déjà annoté une carte marine à l’endroit où nous devons nous rendre. Cela se trouve à 20 milles de la côte, apparemment. Je n’ai jamais été très doué pour me rendre compte des distances, mais les marins pêcheurs connaissent sans doute la mer comme leur poche.
Quand je les rejoins au port, ils sont en train d’embarquer tout l’équipement. Sachant que c’est moi qui connaît notre destination exacte, le capitaine me demande de la lui indiquer. En regardant la petite croix, il devient blême.
« Il n’y a rien là-bas, » dit-il d’une voix ferme.
« Rien pour vous, peut-être, mais nous aimerions - »
« Je vous répète qu’il n’y a rien du tout ! Prenez vos affaires et descendez de mon bateau. »
Comme pour souligner son refus, il s’en va d’un pas vif, intimant à ses hommes de décharger notre matériel. Philippe lui court après et le rattrape par la manche. Le capitaine se dégage violemment, déstabilisant mon ami.
« Qu’est-ce que vous ne comprenez pas dans ce que je viens de dire ? Il. N’y. A. Rien. Là-bas. C’est tout ! »
« Si vous voulez plus d’argent pour nous y emmener, c’est pas un pro - »
« De l’argent ! » crache-t-il. « C’est votre solution à tout ? »
« Non, mais peut-être que - »
« Combien ? »
Philippe me regarde. Je hausse les épaules, lui signifiant que tout prix demandé sera le mien. Il répond au capitaine à voix basse, et je le vois d’abord secouer la tête deux fois avant de considérer la troisième offre en regardant mon ami droit dans les yeux. Je retiens ma respiration. Enfin, il hoche la tête en acceptant. Ils échangent une poignée de main rapide et je respire un bon coup.
Trente minutes plus tard, nous sommes en route, naviguant tranquillement vers l’inconnu. Je suis à l’avant du bateau – la proue, je crois qu’on dit – laissant mon regard et mes pensées se perdre dans l’immensité bleu profond. Une brise légère m’enveloppe et l’odeur salée de l’eau se mêle aux effluves de poisson plus âcres remontant de la cale juste derrière moi. J’adore observer la mer mais je n’aime pas y être. J’aime me baigner dans ses eaux fraîches mais les profondeurs sombres font monter en moi une panique irrationnelle si j’ai le malheur d’y faire attention. J’ai l’impression que quelque chose va m’attraper et m’engloutir. Sans doute ai-je vu Les dents de la mer une fois de trop.
Je pense à Elena. Elle me manque. Ca fait presque un an qu’elle est décédée mais sa présence autour de moi semble constante. Des fois, j’entends sa voix ou son petit rire, et je me surprends à me retourner pour lui répondre mais elle n’est jamais là et je me souviens alors pourquoi. La douleur est moins intense qu’au début mais elle est toujours là, tapie dans les recoins de mon âme, n’attendant que les petites choses pour me pincer de nouveau.
Je sens une main se poser sur mon épaule, c’est celle de Philippe.
« Ca va, vieux ? »
« Je me demande ce qu’on va trouver là-bas. »
« De l’eau, de l’eau et encore un peu d’eau, sans doute. »
Je souris. Si ça se trouve, il n’y a rien, effectivement, mais on a toujours besoin de croire à quelque chose. L’espoir fait vivre.
Les deux autres nous rejoignent. L’ambiance est détendue, plus à la rigolade qu’autre chose. Je crois être le seul à croire vraiment à la présence de cet être abominable dont parle la légende. Philippe est curieux mais Mick et Bruno ont un esprit beaucoup plus rationnel. Il faut dire qu’ils n’ont pas choisi la branche mythologie, non plus, donc leur démarche est forcément plus scientifique. Mais ce n’est pas plus mal, bien que je n’ai pas envie que l’on me serve une explication rationnelle pour tout.
Le bateau de pêche ralentit et finit par s’arrêter et jeter l’ancre. Elle disparaît dans les ténèbres bleues avec un petit plouf. La chaîne se déroule sur toute sa longueur mais le bateau continue de flotter au gré du courant. Nous nous dirigeons vers l’arrière pour enfiler nos combinaisons de plongée. Le capitaine nous attend, le visage grave.
« L’ancre ne s’est pas accrochée. »
« Oui, mais le moteur est coupé donc le bateau n’ira nulle part, » lui répond Julien.
Le capitaine le fixe avec l’air de celui qui est persuadé d’avoir rencontré le plus gros abruti de la planète.
« Cette chaîne fait 20 mètres, messieurs. Si l’ancre n’est pas fixée au fond marin, le bateau dérive, justement. Si vous restez trop longtemps en bas, vous risquez de remonter très loin d’où nous serons. »
« C’est pas grave, on vous rejoindra à la nage. »
Le capitaine ouvre la bouche, puis la referme en secouant la tête. Il marmonne quelque chose d’inaudible et s’en va. Julien se tourne vers nous.
« Prêts pour explorer les mystères du grand bleu, les gars ? »
« Allons-y, Cousteau. Après vous. »
Quelques minutes plus tard, nous plongeons l’un après l’autre sous les regards froids des marins. Je me demande s’ils ne vont pas nous laisser sur place juste pour nous apprendre une petite leçon.